Extrait J’ai
longtemps
cru que je ne te raconterais jamais. Je suis mort sans te
raconter. Et aujourd’hui, face à toute cette agitation,
face à ton agitation, j’en ai finalement ressenti le
besoin. Je te le dis tout de suite : je ne suis pas sûr de
bien agir. Et alors que tes doigts s’emballent sur le
clavier sous ma dictée, je ne sais pas encore si
j’arriverai à reconstituer avec toi ce récit. Le récit de
ma vie, penses-tu. Mais ai-je eu une vie ? Je suis de ceux
que leur ombre a toujours précédés et qui auraient voulu
s’y noyer. Des anonymes, des inconnus. C’est ce qui m’a
sauvé, je crois. Et qui fait que tu te tiens ici, toute
raide face à ton clavier, emplie de cette peur de perdre
le contrôle qui toujours t’a paralysée. Submergée par
l’émotion que tu aimerais contenir, comme à chaque fois.
Et la plupart du temps, tu réussis. Dans la famille, on ne
pleure pas, on courbe sous le poids de la vie sans jamais
plier. On résiste, à sa façon. Qui connaît vraiment tes
sentiments ?
[…] Je suis un homme simple, et tu imaginais que je savais à peine lire et écrire. Oui, le français. Comme s’il existait une seule langue sur terre. Pour toi, en tous les cas, c’est évident. La seule que tu maîtrises à peu près correctement. Tu l’aimes jusqu’à l’obsession, comme si elle avait été celle de tes ancêtres, comme si elle était toi, et plus encore. Sous tes airs de princesse lettrée, tu sembles avoir oublié que tes grands-parents avaient une langue, le yiddish, que parlaient les Juifs d’Europe de l’Est. Et une culture, qui n’était pas la religion. Tu as vécu dans une douce ignorance, pensant détenir la seule vérité. Loin de la réalité des tiens. J’en porte, en partie, la responsabilité. Voilà pourquoi je consens à te livrer ces confidences dans la langue de ma patrie d’adoption ; je l’ai apprise lettre à lettre durant l’Occupation. Bien sûr, je me doute bien qu’à la première relecture tu revisiteras mes mots pour les remplacer par les tiens. C’est ta manie, ton métier. Je vais m’en accommoder. |
Ce
qu'ils en ont dit
Interview
sur BXFM 104.3 Bruxelles* https://soundcloud.com/bxfmradio/linvite-du-jour-evelyne-guzy-la-malediction-des-mots *
Descendante de familles juives ayant subi les terribles épreuves qui leur ont été infligées tout au long du XXe siècle, Évelyne Guzy confie sa plume à une narratrice anonyme pour raconter la morbide épopée de ses ancêtres à travers l’Europe trop souvent antisémite. Elle a choisi la fiction, car les sources qu’elle possède, ou qu’elle dépouille dans de nombreux gisements d’archives, laissent quelques béances dans la biographie de ces aïeux, de même qu’elle n’a pas écrit à la première personne, mais sous le nom d’Eva qui figure dans le roman. L’auteure anonyme raconte donc la vie des aïeux d’Eva/Évelyne dans une fiction très proche de la réalité. Elle veut écrire la vie de sa famille à la mémoire de tous ceux qui sont morts dans les différentes épreuves infligées au peuple juif tout au long de ce terrible siècle, elle veut écrire aussi pour ceux qui doivent perpétuer la culture yiddish et surtout pour témoigner que les Juifs ne se sont pas laissé mener dans les camps comme des moutons à l’abattoir. Elle veut montrer, décrie, expliquer leurs combats, leur résistance, leur rébellion… La narratrice raconte tout d’abord, l’histoire des grands-parents paternels venus de Pologne, de Czestochowa, là où se déroule le célèbre pèlerinage à la Vierge noire, là où le grand-père fabriquait des casquettes, qu’il a fuie avec la grand-mère issue d’une famille terrienne venue de la région de Vilnius. Il a quitté la Pologne après avoir défendu son pays les armes à la main malgré les mauvais traitements infligés par ses collègues militaires et après avoir assisté à quelques pogroms particulièrement sanglants. Il est arrivé à Charleroi où, après bien des épreuves, il a pu créer un commerce prospère jusqu’à ce qu’un résistant communiste lui dise de filer vite avant que les SS débarquent chez lui et l’embarquent pour un retour morbide en Pologne. Eva a peu de souvenirs de ce grand-père falot, sans grande envergure apparente, lors de ses recherches, elle découvre un grand-père discret mais courageux et une grand-mère un peu rustre mais volontaire et tenace qui se sont battus, ensemble et avec détermination, pour exercer leurs activités commerciales et artisanales mais surtout pour donner la meilleure instruction possible à leur fils. Ce fils, qui est leur seul enfant, a connu la débâcle au cours de laquelle, il a traversé seul la France du nord au sud après avoir égaré ses parents dans l’indescriptible cohue mais qui, revenu à la maison a pu poursuivre ses études pour devenir un brillant ingénieur. Caché dans une institution religieuse catholique pendant la guerre, il en sort affecté par une sorte schizophrénie judéo-catholique qu’il conservera toute sa vie. Ayant épousé la fille d’un grand résistant juif, il a honte de ses parents, petits commerçants médiocres à son avis. Eva sera la petite-fille de son grand-père maternel beaucoup plus que celle du pauvre petit commerçant. Le grand-père maternel, Juif de Pologne lui aussi, a vu sa famille décimée, il s’est engagé très tôt dans la Résistance où il est devenu un personnage important, encore plus important après la guerre au moment d’écrire l’histoire, mais seulement jusqu’à ce qu’un historien juif et communiste, lui, mette en doute la véracité des faits de résistance qu’il s’attribue. Eva ne pourra jamais découvrir la vérité, plusieurs témoignages non concordants circulent, chacun cherchant à exploiter la guerre, ses misères, ses morts et les faits glorieux pour étayer sa propre théorie et sa propre vision de l’évolution du judaïsme avec la création de l’État d’Israël. Eva a laissé des blancs dans son récit, ils sont peut-être encore plus importants que tout ce qu’elle a découvert, car ils interrogent et, ainsi, évitent que l’oubli gomme ceux qui ont participé à cette terrible épreuve. Mais, avec sa petite-fille, elle pourra toujours témoigner que « Nous ne sommes pas des moutons qu’on mène à l’abattoir. Nous sommes un peuple de mémoire ». Denis
Billamboz, mesimpressionsdelecture.unblog et
critiqueslibres.com
*
Et si le
silence n’était rien d’autre qu’un cadeau, une
bénédiction ? La question est posée par Eva, lorsqu’elle
entame une enquête sur la vie de son grand-père
paternel. Un papy qui paraissait sans histoires, un de
ces immigrés juifs venus de Pologne dans les
années 30, comme bien d’autres, et qui a fondé une
famille chez nous, sans soulever le débat sur le
déracinement et le sens de l’immigration. Surprise par
la découverte de son possible engagement communiste,
elle décide de remonter le cours du temps et de
desceller des pavés. Qui était-il vraiment ? Son passé
mérite-t-il qu’on s’y intéresse ? Chemin faisant, elle
croise les témoignages, les oppose, est amenée à trier
le bon grain de l’ivraie, se doute que des choses sont
dissimulées et que les mots ne servent qu’à lénifier
certaines plaies béantes. Puis, est-il judicieux
d’exhumer ce qui ne doit sans doute pas l’être ? Évelyne
Guzy nous parle du passé, de résilience, du portrait
qu’on doit se forger de soi-même, de la nécessité de
s’inscrire dans les annales d’une famille et de rappeler
les faits d’armes des résistants belges qui se sont
opposés à l’invasion nazie. Puis, l’histoire se veut un
miroir d’événements sur lesquels on ne dispose d’aucun
autre moyen que celui de l’analyse. Enfin, il importe de
les replacer dans leur époque, miroir de la réalité. La
malédiction est celle de revenir en arrière, de placer
des explications sur tout et d’exhumer la mémoire, alors
qu’on est parfois plus heureux de ne pas savoir ! Sam Mas, Bruxelles-Culture *
Devoir
de mémoire
*
C'est à partir d'une présentation de livre à laquelle elle assiste qu'Eva découvre que son grand-père paternel, Icek, n'est peut-être pas l'homme fade et passif qu'elle pensait. Grâce à un DVD-témoignage laissé par son père, Groïnim, elle découvre une partie de son histoire familiale. Elle plonge alors dans une enquête généalogique et historique pour combler les manques et les silences de sa famille paternelle et maternelle. Un récit qui relate l'horreur de la persécution, l'obligation de quitter son pays natal parce qu'on est Juif : subir, se cacher, être confronté sans cesse à la mort. Un récit qui parle aussi de courage et de convictions. Si les mots peuvent parfois réécrire la vérité et les souvenirs, ils peuvent aussi être salvateurs. Evelyne Guzy nous livre un roman fort, qui interroge et qui ne laisse pas indemne. La plume est brillante, parfois exigeante. Rebus, Babelios *
Je viens de
terminer ce livre et j'en suis encore tout émue.
Ce roman, cette histoire pourrait être celle de beaucoup d'entre nous. Combien sommes-nous à avoir eu des grands parents émigrés, combien ont dû quitter leur pays et surtout que savons-nous réellement de tout cela ? Des histoires de vies, des secrets, des sentiments, de la bravoure, et des doutes, voilà tout ce que l'on retrouve dans ce merveilleux roman. J'ai également appris beaucoup de choses grâce aux nombreux faits et dates historiques tout au long du roman afin de bien nous immerger dans L’Histoire. Un livre empli d'émotions et de pudeur que j'ai vraiment beaucoup apprécié. Devoreusedelivres13, Babelio 23 février 2021 *
Evelyne Guzy est l’auteur de brochures d’information sur des thèmes d’intérêt citoyen et cela se sent. Pour moi, ce livre n’est pas vraiment un roman, mais plutôt un documentaire. […] Il ne s’agit pas de se laisser distraire en lisant, chaque phrase est importante pour comprendre le récit ! La façon dont le livre est écrit est un peu déroutante au début, car on rencontre deux narrateurs : Eva et son grand-père Icek, immigré juif venu de Pologne alors que ses frères, eux, se sont réfugiés en Amérique. Les grands-parents d’Eva ne sont plus de ce monde pour transmettre leur histoire, c’est sans doute pour cela qu’elle laisse la parole posthume à son grand-père, un grand-père paternel qui semblait terne et sans histoires et qui a pourtant vécu une vie extraordinaire dans cette Europe antisémite. D’un autre côté, le lecteur rencontre l’autre grand-père d’Eva, côté maternel, qui lui était une figure de la résistance et un fervent anticommuniste. C’est aussi l’histoire de son père, cet enfant caché dans une institution catholique pendant la guerre et qui est devenu un brillant ingénieur. Eva se lance donc dans une quête personnelle : celle de ses origines, mais le passé peut être bouleversant… On devine aisément qu’Eva est en fait l’auteure même, mais elle a choisi de ne pas écrire à la première personne et de faire de ce récit une fiction, car ses recherches ont laissé des vides qu’elle n’a pas pu combler. Un livre très intéressant au point de vue historique que je conseille aux amateurs du genre. Philippedester, D’un livre à l’autre. *
Une belle résurrection ! Bernard Delcord, Lire est un plaisir et Homelit *
https://www.youtube.com/watch?v=LFSYCiqlo1w&t=5s |
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